
Dre. Zikra Al-Ariqi
Professeure associée et chef du Département de sociologie à l’Université de Taëz
Conseillère de « Les Voix des Femmes Yéménites dans la Diaspora »
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La migration des femmes est l’un des phénomènes sociaux les plus marquants de ces dernières années, particulièrement dans le contexte des crises politiques et économiques que traversent les pays arabes. Cette migration ne se limite pas à un simple déplacement géographique, mais reflète un ensemble complexe de facteurs sociaux, économiques et politiques.
Bien que la migration ait été un phénomène constant tout au long de l’histoire humaine, les facteurs qui poussent et attirent les migrants ont évolué au fil du temps. Certains de ces facteurs sont restés méconnus pendant de longues périodes. Depuis les années 1970, les études migratoires accordent une attention accrue au rôle des femmes dans les processus migratoires, soulignant que les schémas migratoires féminins ressemblent parfois à ceux des hommes, mais qu’ils en diffèrent souvent. Ce phénomène est également connu sous le nom de féminisation de la migration. Les femmes, tout comme les hommes, migrent en quête d’un avenir meilleur et de nouvelles opportunités. De plus, les travailleuses migrent souvent pour assurer un avenir meilleur à leurs familles dans leur pays d’origine. Cependant, ce processus migratoire expose les hommes et les femmes à de nombreux risques d’abus et d’exploitation. La recherche féministe soutient que cette vulnérabilité est également liée au genre et affecte les femmes et les hommes de manière différente.
Les circonstances historiques et politiques au Yémen ont joué un rôle majeur dans le façonnement de la réalité de la migration. Depuis l’unification du Yémen en 1990, le pays a connu des changements radicaux, notamment des conflits civils, des tensions politiques et des effondrements économiques. Ces crises ont poussé de nombreuses familles, en particulier les femmes, à chercher de nouvelles opportunités à l’étranger. De même, le conflit en cours au Yémen depuis 2015 représente l’une des crises humanitaires les plus complexes au monde. Ce conflit violent a particulièrement affecté les femmes, en particulier les migrantes yéménites, qui ont été confrontées à de multiples défis dans un contexte économique et social difficile.
Les migrantes yéménites font partie d’un phénomène migratoire de grande ampleur que le Yémen a connu. Cette migration se concentre généralement à l’intérieur du pays vers des zones plus sûres, ou vers les pays voisins comme l’Arabie Saoudite et Oman. Les migrantes font face à de nombreux défis, notamment la perte d’identité, la discrimination, et des conditions de travail difficiles. Cet article vise à analyser les facteurs qui ont contribué à la migration des femmes yéménites, en mettant l’accent sur les conditions actuelles et leurs impacts sur les femmes. Parmi les facteurs qui ont conduit à la migration des femmes yéménites :
Premièrement, les facteurs sociaux et culturels, parmi lesquels :
- La violence basée sur le genre : Malgré le manque de données précises et de rapports adéquats des victimes sur les cas de violence basée sur le genre en raison de facteurs de sécurité, du manque de mesures de protection adéquates pour les victimes au moment du signalement et après, et de facteurs culturels liés à la peur des répercussions sociales et de la stigmatisation. La société yéménite n’est pas différente des autres sociétés en ce qui concerne la pratique de la violence contre les femmes et les filles.
La violence à l’égard des femmes et des filles yéménites se manifeste sous toutes ses formes : physique, psychologique et sexuelle, et ce dans toutes les régions du pays. Malheureusement, la situation s’aggrave lorsque cette violence est dissimulée sous des prétextes religieux et sociaux, lui conférant ainsi une certaine acceptabilité au sein de la société, y compris parmi les femmes elles-mêmes. Parmi les formes de violence subies par les femmes, on peut citer le déplacement interne et l’exil. Les femmes et les enfants déplacés à l’intérieur du pays sont confrontés à de graves souffrances, telles que la faim, la pauvreté et les maladies endémiques. Par ailleurs, certaines femmes ont été contraintes de migrer en raison du conflit en cours, les obligeant à s’exiler pour assurer leur subsistance et trouver un abri sûr.
Le conflit a également poussé de nombreuses femmes, déplacées ou contraintes de quitter leur foyer pour chercher de quoi survivre, à mendier. Le rôle économique est passé de l’homme à la femme qui a perdu son mari, sa famille et son fils. Sans parler de la désintégration familiale et des divorces dus à la situation économique précaire. Les études montrent d’ailleurs que la violence domestique est l’une des principales raisons qui poussent les femmes à émigrer. De nombreuses femmes cherchent à fuir les environnements violents pour trouver refuge dans d’autres pays, où elles peuvent commencer une nouvelle vie loin des pressions psychologiques et physiques.
- Mariage précoce : Le mariage précoce est l’un des facteurs qui poussent les filles à émigrer à la recherche d’une vie meilleure. Le mariage des mineures et le mariage forcé sont des phénomènes élevés dans les gouvernorats qui ont accueilli un grand nombre de déplacés, comme les gouvernorats d’Al-Hodeïda, Ibb, Hajjah, Sanaa et Aden. Il existe des mariages précoces parmi les déplacés, soit en raison du besoin des tuteurs en argent et de leur situation économique difficile suite à la perte de leurs biens et de leurs maisons, soit par peur du harcèlement et de la déviation de leurs filles.
D’autre part, les circonstances économiques jouent un rôle dans la diminution des dots des filles parmi les déplacés, ce qui encourage les membres de la communauté d’accueil à épouser de jeunes filles déplacées en raison des coûts réduits du mariage. Le mariage des filles est même devenu une source de revenus, et certains peuvent chercher à marier leurs filles à des membres de la communauté d’accueil afin de créer des liens de parenté et d’acceptation au sein de la communauté, ce qui rapproche davantage la famille déplacée des membres de la communauté et facilite son établissement permanent.
- Le manque d’opportunités éducatives est un handicap pour les femmes. En effet, le peu d’opportunités éducatives limite leur capacité à accéder à des emplois correspondant à leurs qualifications. L’émigration leur offre la possibilité d’acquérir une meilleure éducation dans d’autres pays, ce qui augmente leurs chances sur le marché du travail.
- Les rôles traditionnels jouent un rôle crucial dans la poussée des femmes vers la migration dans de nombreux cas. Elles assument souvent les responsabilités familiales dans des conditions économiques difficiles, et certaines migrent en quête d’une plus grande indépendance et d’un pouvoir décisionnel accru, loin des contraintes sociales.
- Les coutumes et traditions favorisant les hommes au sein de la famille et du monde du travail, ainsi que la préférence accordée aux garçons par rapport aux filles, peuvent pousser les femmes à émigrer en quête d’opportunités égales en matière d’éducation et d’emploi.
- Parmi les facteurs culturels, les médias sociaux jouent également un rôle important dans la sensibilisation aux problèmes des femmes au Yémen. Ces plateformes offrent des informations sur les opportunités à l’étranger, encourageant ainsi les femmes à émigrer.
- Les réseaux sociaux jouent un rôle crucial dans la facilitation de la migration féminine. Les femmes s’appuient souvent sur les expériences de leurs proches ou amies migrantes, ce qui renforce leur sentiment de sécurité lorsqu’elles prennent la décision de migrer.
Deuxièmement, les facteurs politiques caractérisés par le conflit permanent au Yémen :
- La désintégration familiale résultant de la perte de nombreux maris ou membres de famille par les femmes en raison du conflit, ce qui a accru leurs fardeaux et leurs responsabilités, et a poussé les femmes à émigrer en quête de sécurité et de stabilité.
- Le ciblage direct et l’assassinat des femmes ; en effet, un grand nombre de femmes sont tuées pendant les conflits par des cibles directes de différentes parties belligérantes, et certaines sont handicapées. Par exemple, dans le gouvernorat de Taëz, qui connaît le taux le plus élevé de victimes féminines parmi les différents gouvernorats, des rapports de certaines organisations (le Centre d’information et de qualification pour les droits de l’homme, une ONG basée à Taëz, au Yémen) ont révélé que « les crimes de violence contre les femmes au Yémen ces dernières années se sont multipliés ; ils ont inclus le meurtre direct de centaines de femmes, que ce soit par des tirs de sniper ou des bombardements, ainsi que des mutilations de femmes à cause des vastes champs de mines entourant les villages habités et les entrées des villes ».
- Abus physique, psychologique et sexuel ; Comme le viol auquel les femmes sont exposées au Yémen en raison des conditions de conflit. Ils ont été battus, agressés et pourchassés simplement parce qu’ils étaient sortis pour revendiquer des droits ou des revendications liées aux affaires publiques.
- L’enlèvement de femmes et l’arrestation de dizaines d’entre elles sont devenus monnaie courante. Selon les données d’organisations de défense des droits de l’homme dans différentes provinces yéménites, plus de deux cents femmes sont soit enlevées, soit portées disparues, ou encore sont l’objet de persécutions répressives. Cette situation met la vie de ces femmes en grand danger.
- Selon le deuxième rapport annuel sur la situation des femmes en politique dans la région arabe, publié par l’équipe d’experts, les femmes, tout comme les hommes, sont victimes de torture et de violences sexuelles en détention. L’équipe a enquêté sur 12 cas de violences sexuelles ayant touché cinq femmes.
- Des dizaines de militantes et de dirigeantes féminines sont assignées à résidence, privées de toute activité, et certaines d’entre elles ont été menacées de mort si elles désobéissaient. Cela a forcé beaucoup d’entre elles à se déplacer vers des endroits éloignés, ou à émigrer et à chercher refuge.
- L’absence de droits des femmes ; en effet, les femmes au Yémen font face à d’énormes défis concernant leurs droits fondamentaux, et l’émigration leur offre l’opportunité de vivre dans des pays qui respectent les droits des femmes et leur fournissent un meilleur environnement juridique.
Troisièmement, les facteurs économiques :
- Quant aux défis économiques, outre la limitation des opportunités d’emploi, qui a entraîné une augmentation des taux de pauvreté et de chômage, les statistiques montrent que le taux de chômage chez les femmes est supérieur à celui des hommes, ce qui a aggravé les taux de pauvreté. L’inflation et la hausse des prix ont poussé les femmes à chercher du travail à l’étranger pour améliorer leur situation financière et assurer un avenir meilleur à leurs familles, afin de les aider à supporter leurs charges familiales et de vie en général.
Bien que de nombreuses femmes émigrent vers d’autres pays, elles font face à une série de défis dans leur pays d’accueil, notamment :
- Les défis économiques ; les migrantes yéménites font face à de grandes difficultés économiques. Beaucoup d’entre elles ont perdu leurs sources de revenus en raison de la destruction des infrastructures économiques au Yémen. De plus, les opportunités d’emploi disponibles dans les pays d’accueil sont souvent insuffisantes ou requièrent des compétences que les femmes migrantes ne possèdent pas. Cette situation entraîne une augmentation de la pauvreté et une dépendance accrue à l’aide humanitaire. De nombreuses migrantes travaillent dans des emplois informels et mal payés, ce qui les expose à l’exploitation.
- Les défis psychologiques ; la santé mentale est l’un des aspects les plus importants affectés chez les migrantes yéménites qui ont été victimes de violence, de discrimination et d’un manque d’espoir pour l’avenir, ce qui a augmenté les taux d’anxiété et de dépression. Des études montrent que les migrantes souffrent de niveaux élevés de troubles de stress post-traumatique, ce qui affecte leur capacité à s’adapter à leur nouvelle vie.
- Les nombreuses migrantes yéménites sont confrontées à l’absence de papiers d’identité légaux, ce qui les expose à l’exploitation et au risque d’être expulsées dans de nombreux pays d’accueil.
- Mariage forcé : Certaines migrantes sont confrontées à des mariages forcés, ce qui aggrave leurs souffrances.
- Les difficultés d’intégration ; les immigrantes rencontrent des difficultés à s’intégrer dans les nouvelles sociétés, en raison des différences culturelles et linguistiques.
Propositions et recommandations :
- Renforcer la protection juridique : Les pays d’accueil doivent assurer une protection juridique aux migrantes yéménites et garantir leurs droits.
- Lutter contre la traite des êtres humains : Il est impératif de combattre le phénomène de la traite des êtres humains et de fournir un soutien aux victimes, en particulier les femmes et les filles.
- Fournir des services : Les migrantes yéménites doivent bénéficier de services de base tels que les soins de santé, l’éducation et la formation professionnelle pour leur permettre de devenir autonomes.
- Renforcer la coopération internationale : Il est nécessaire de renforcer la coopération internationale entre les pays d’origine et d’accueil pour développer des politiques migratoires plus humaines.
- Autonomiser les femmes yéménites économiquement et socialement : Il est essentiel de renforcer l’autonomisation économique et sociale des femmes yéménites afin de réduire les facteurs poussant à l’émigration, qui aggravent les souffrances des femmes au Yémen.
- Renforcer les efforts communs : La communauté internationale, les gouvernements et les organisations non gouvernementales doivent unir leurs efforts pour comprendre les causes de la migration et les défis auxquels sont confrontées les migrantes, et élaborer des stratégies efficaces pour les protéger et promouvoir leurs droits.