Ahmed Bajoaim – La Femme dans le Développement et la Paix

 

Les années de conflit continu depuis plus de neuf ans ont laissé des impacts profonds sur tous les aspects de la vie sociale et économique au Yémen. Parmi ces effets marquants se trouve le phénomène du célibat, qui a connu une augmentation notable dans la société locale ces dernières années. Cette hausse des taux de célibat reflète de nombreux facteurs qui se sont accumulés à cause du conflit, tels que la dégradation de l’économie, la faiblesse de la sécurité, la désintégration de la structure sociale traditionnelle, le déplacement, l’exode, et le manque de logement et d’abri, entre autres.

Dans un contexte de violence croissante et de son impact sur la vie des individus ainsi que sur leur stabilité psychologique et sociale, les opportunités de mariage sont devenues limitées pour les jeunes, tant pour les hommes que pour les femmes. De plus, l’augmentation des coûts du mariage, le taux de chômage élevé, l’émigration, et l’incertitude concernant l’avenir sont autant d’éléments qui ont contribué à engendrer des changements radicaux dans la perception de la société vis-à-vis du mariage et de son rôle en tant que pilier fondamental de la construction de la famille. Dans ce rapport, nous mettrons en lumière l’impact du conflit au Yémen sur la propagation du phénomène du célibat, selon les avis d’experts.

 

Le conflit et son impact

Khulood Al-Qahoum, travailleuse sociale, estime que les conditions vécues au Yémen depuis le début du conflit sont difficiles et se détériorent dans divers aspects de la vie, y compris le volet social. Plus de deux tiers de la population yéménite – soit 21,6 millions de personnes – ont un besoin urgent d’assistance humanitaire, dont plus de 20 millions nécessitent une aide sanitaire urgente, selon un rapport de L’Organisation mondiale de la Santé (OMS) en 2023. Dans un autre rapport du Programme alimentaire mondial (PAM) en 2024, il a été indiqué que 18,6 millions de personnes au Yémen auront encore besoin d’aide humanitaire. Comment ces jeunes peuvent-ils envisager le mariage alors qu’ils sont confrontés à de nombreux défis, tels que la hausse des prix, l’augmentation des dotations, l’exagération des préparatifs de mariage, et la complexité des coutumes et traditions dans de nombreuses régions du Yémen ?

Elle a ajouté : « Le conflit actuel au Yémen et ses conséquences successives ont déchiré le tissu social dans de nombreuses régions et ont entraîné une augmentation de l’apparition de l’infertilité parmi les jeunes, ce qui a des effets à long terme sur le plan psychologique, moral et social. Ils commencent à penser au travail et à la manière de subvenir aux besoins de leur famille ».

De son côté, Ibtissam Al-Syood, travailleuse sociale et conseillère familiale, déclare : « Le conflit qui dure depuis des années au Yémen a clairement eu un impact sur l’augmentation des taux de célibat dans le pays. En effet, les conflits augmentent les pressions économiques, ce qui rend difficile la couverture des frais de mariage et entraîne ainsi une hausse des taux de célibat ».

Elle a ajouté : « Les pressions sociales résultant des conséquences du conflit sont l’un des effets qui ont conduit à l’expansion du phénomène du célibat au Yémen. Il y a désormais un sentiment de contrôle de la part du chef de famille concernant les conditions de mariage, ce qui crée un sentiment d’incapacité chez les jeunes, entraînant ainsi le célibat. De plus, le célibat engendre un sentiment d’isolement et d’exclusion sociale de la part des membres de la communauté, avec un impact psychologique significatif. Ils sont soumis à des niveaux de stress et de dépression plus élevés, ce qui affecte leur santé physique. Ainsi, la poursuite du conflit armé a considérablement nui aux femmes et a entraîné de nombreux défis qui ont affecté leur vie ».

 

Les défis du conflit

Elle a également souligné que les défis auxquels les femmes sont confrontées en raison du conflit et de ses conséquences ont dévié la boussole de la sécurité et de la stabilité au sein de la société en général, et dans les esprits des jeunes, en particulier. La situation économique au Yémen a exacerbé cette réalité, obligeant les femmes à relever le défi de s’intégrer sur le marché du travail et de partager avec les hommes une partie des fardeaux de la vie. Cela pourrait avoir des conséquences négatives, notamment un éloignement du mariage, laissant les femmes comme soutiens pour leur tuteur.

Elle a également ajouté : « Les effets liés au conflit armé dans le pays et ses conséquences économiques et sociales, ainsi que le déplacement et l’émigration, constituent un obstacle majeur pour les femmes. De plus, l’ouverture des réseaux sociaux a permis aux jeunes filles et aux jeunes hommes de satisfaire leurs besoins émotionnels et psychologiques en établissant des liens entre eux, en l’absence de contrôle familial, et en consolidant des croyances erronées véhiculées par l’extérieur concernant la liberté des femmes et l’égalité entre les sexes. Cela a également un impact sur le retard dans le mariage entre les deux sexes ».

Al-Syood souligne que la détérioration des conditions économiques, dans le contexte de la poursuite du conflit, a rendu difficile pour de nombreuses familles de couvrir les frais de mariage, contribuant ainsi à l’augmentation des taux de célibat. De plus, des défis tels que la violence contre les femmes et les traumatismes psychologiques, y compris la violence sexuelle et économique, ont émergé. Les femmes qui ont été persécutées ou victimes de violence peuvent rencontrer des difficultés encore plus grandes pour trouver un partenaire de vie. Par ailleurs, les traumatismes psychologiques résultant des conséquences du conflit affectent leur santé générale et leurs attentes en matière de mariage. Cela constitue une partie des nombreux défis auxquels sont confrontés les hommes et les femmes qui envisagent de se marier.

Elle indique également qu’un des défis laissés par le conflit est l’augmentation des taux de chômage chez les jeunes, ce qui a eu un impact négatif sur leur capacité à se stabiliser financièrement et à fonder des familles. Cette situation a conduit à un retard dans le mariage et a accru les taux de célibat parmi les femmes. De plus, il y a eu des changements dans les valeurs sociales reconnues dans la société yéménite, comme l’impact du déplacement qui a complexifié la vie sociale et a augmenté les difficultés liées à la stabilité et à la création de familles. Les femmes déplacées font face à des défis supplémentaires pour s’adapter aux nouvelles conditions et rechercher des opportunités de mariage.

 

Suggestions pour atténuer le célibat

Beaucoup de membres de la société yéménite estiment que mettre fin au conflit dans toutes les régions du Yémen et résoudre les conséquences sécuritaires, politiques et économiques résultant des conflits persistants dans divers domaines conduira inévitablement à une solution du phénomène du célibat, tant pour les femmes que pour les hommes.

Khulood Al-Qahoum propose plusieurs suggestions pour atténuer le célibat selon son point de vue. Elle souligne l’importance de sensibiliser les jeunes, les jeunes femmes et les parents sur la gravité de l’augmentation du célibat, tant pour cette tranche de la population que pour la sécurité et la stabilité de la société. Elle appelle à un effort collectif pour activer le rôle des chefs de quartier, des orateurs, des prédicateurs et des conseillers familiaux dans la sensibilisation à l’importance de réduire les coûts du mariage, qui ont été affectés par le conflit. Elle préconise également de promouvoir la solidarité sociale et d’organiser des mariages collectifs pour alléger le fardeau du mariage, en particulier pour les familles à faible revenu, en renforçant le partenariat avec des organisations de la société civile.

Elle poursuit en disant : « Parmi les suggestions pour atténuer les effets du conflit sur le célibat au Yémen, il est proposé d’ouvrir des bureaux de mariage dans chaque district, où les familles peuvent se mettre d’accord pour résoudre les problèmes liés au mariage. Cela serait soutenu par des conseillers familiaux. Il serait également utile de promouvoir la culture de la polygamie afin de protéger les filles qui ont dépassé l’âge approprié pour se marier, tout en coordonnant avec les autorités compétentes pour établir des lois et des règlements concernant les exigences du mariage en fonction des conditions économiques engendrées par les conséquences du conflit ».

Elle a continué : « Les spécialistes en conseil familial doivent travailler à réduire ce phénomène en diffusant la conscience religieuse, la pensée islamique et une culture modérée. Cela peut se faire en organisant des sessions de sensibilisation, en établissant des forums pour les jeunes, et en engageant les jeunes, les parents, ainsi que les groupes dans des séances individuelles et des sensibilisations collectives. De plus, il est essentiel de compiler des statistiques et des résultats des recommandations des ateliers pour les soumettre aux décideurs, afin de trouver des solutions durables à ce phénomène, ainsi que de lancer des campagnes de sensibilisation sur les réseaux sociaux ».

De son côté, Ibtissam estime que pour aider à réduire le célibat au Yémen, surtout dans le contexte difficile résultant du conflit, il est essentiel d’améliorer l’accès des filles à l’éducation et à la formation professionnelle, ce qui peut renforcer leurs chances d’obtenir un emploi et d’atteindre une indépendance financière, aidant ainsi à améliorer leurs opportunités de mariage. Elle propose également de fournir une aide financière de la part des donateurs aux familles pour financer les coûts de mariage, ce qui pourrait alléger les pressions économiques pesant sur les familles. En outre, il est important de fournir des services de soutien psychologique et de traitement aux personnes affectées par les conflits et les crises, ce qui contribue à améliorer la santé mentale et à accroître leur capacité à s’adapter à la vie sociale, y compris le mariage.

Elle a aussi souligné la nécessité de lancer des campagnes de sensibilisation pour accroître la conscience communautaire sur la manière de surmonter les effets du conflit, et de faciliter les voies du mariage en participant à des programmes de mariage collectif qui contribueront à réduire le célibat. De plus, il est essentiel de soutenir des programmes et des initiatives qui favorisent l’autonomisation des femmes, tels que les projets de petites entreprises et les programmes de soutien social, qui renforcent le rôle des femmes dans la société et augmentent leurs chances de mariage. Elle a affirmé que ces solutions nécessitent une coordination entre les autorités gouvernementales et les organisations de la société civile pour obtenir un impact efficace et durable dans la lutte contre le célibat dans le pays.

Le conflit armé persistant au Yémen constitue un facteur principal de l’aggravation du phénomène du célibat et de l’augmentation des complexités de la vie sociale et économique des jeunes. Pour éviter une aggravation supplémentaire, il est nécessaire de rassembler les efforts des autorités publiques et privées, ainsi que des organisations internationales, pour analyser le problème et proposer des solutions qui favorisent le mariage et réduisent le célibat, tout en prenant en compte les suggestions des spécialistes.